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Oiseau raffiné et mythique : le Pluvier guignard

Le Pluvier guignard est un petit échassier, ou limicole, de la taille d’une grive, oiseau mythique que tout ornithologue rêve de voir un jour.

Son nom scientifique est « endromias morinellus », endromia signifiant rapidité en grec, allusion à la façon des pluviers de trottiner, se figer, puis se pencher pour capturer une petite proie.

Pourquoi mythique ?

Parce qu’il a une allure très raffinée.

Parce que son plumage a des couleurs chaudes très contrastées, mais très mimétiques aussi.

Parce que tous ceux qui l’ont côtoyé relatent sa confiance : il est si peu farouche qu’un suédois, Bengt Berg, a réussi à le faire couver dans ses mains (photos noir et blanc à l’appui, prises vers 1920) !

Parce que son gros œil noir a un regard profond.

Parce qu’il est  peu souvent observé, et en petit nombre.

Parce que c’est la femelle « qui porte le pantalon » !…

 

Rôles des sexes inversés !

C’est l’une des rares espèces chez lesquelles les rôles entre sexes sont inversés. En effet , la femelle est à la fois plus colorée et plus grande que le mâle. C’est elle qui chante et « mène » la parade nuptiale. Ensuite, elle se contente de pondre, le mâle s’occupant seul de l’incubation des œufs, puis de la surveillance des petits, qui sont nidifuges. Il ne laisse pas approcher la femelle  du nid (elle en profite pour aller voir ailleurs : les ménages à trois seraient fréquents !). Afin d’éloigner les prédateurs, il simule une blessure ou court comme un petit mammifère !

 

Régime :

Il se nourrit d’insectes, d’araignées, de mollusques, de vers de terre, et parfois de végétaux.

 

Quartiers d’été :

Il niche depuis l’Ecosse (environ 150 couples recensés) jusqu’à la Sibérie orientale en passant par la Norvège, dans les toundras caillouteuses. L’espèce a niché ponctuellement, dans les Vosges (voir historique) et les Pyrénées. Cependant, Paul Géroudet écrit que la présence d’un couple en juin ou juillet sur une sommité n’est pas une preuve de nidification.

 

Oiseau montagnard ?

On le croyait jusqu’en 1961, où l’on a découvert des cas de nidification dans les polders de Hollande !

 

Quartiers d’hiver :

Il hiverne en Afrique du nord et au Moyen Orient, dans des zones semi-arides, du Maroc à l’Iran. Quelques-uns passent la mauvaise saison en Espagne.

 

Migration :

Les femelles sont en général les premières à quitter les lieux de reproduction, puisqu’elles n’ont pas charge de famille ! Les mâles et les jeunes partent environ deux semaines après. C’est un moment rare, et donc privilégié, que d’en observer en halte migratoire. Ils ne sont jamais vus en grand nombre, comme le sont leurs cousins les Pluviers dorés par exemple, mais en petits groupes, et essentiellement en automne, en migration postnuptiale, souvent sur des sites identiques d’années en années.

 

Où faut-il les chercher chez nous ?

François Legendre, spécialiste français du « guignard », coordinateur des comptages nationaux (qui existent depuis 2002) a écrit :
 Il suffit de chercher une zone si possible à végétation rase (inférieure à 5 cm), caillouteuse, un labour fin, un champ de pois, de lin, le plus possible en position dominante (crête, butte, sommets, prédominance quelconque), d' aller le matin de bonne heure, de bien fouiller, de patienter au minimum une demi-heure, car leurs périodes de repos, où ils sont très peu repérables, n’excèdent en général pas vingt minutes.

Biotopes préférés de ces oiseaux, par ordre d’intérêt décroissant :

                                                        

Quand faut-il les chercher ?

 


Trouver un guignard est l’assurance de moments inoubliables, de fierté d’être accepté par un oiseau sauvage.

 

Petit historique de la présence de pluviers guignards en Alsace :

Le Pluvier guignard était déjà mentionné par les ornithologues alsaciens de la seconde moitié du XIXe siècle.

On trouvait autrefois l’oiseau sur les marchés aux volailles de notre région: leur chair fine et délicate était appréciée !!

 

Plus récemment,

 

Une trentaine d'observations ont été collectées depuis un peu plus de 40 ans et figurent, pour la plupart, dans les bases de données de la LPO Alsace et du Centre Ornithologique Lorrain, les voici :

 1965 

  • le 24 juillet, un individu au Petit Ballon

 1968 :  

  • deux individus, puis un seul, faisaient des manœuvres de diversion  de mai à août à 1350 m d’altitude près du Markstein et du Petit Ballon ! (Nidification ?)
  • un pluvier est observé au Grand-Ballon
 1971 :
  • une parade nuptiale observée au Petit Ballon
  • le 9 septembre un individu présent au Batterienkopf ( Mittlach)

 1972 :
  • le 9 septembre, 2 individu peu farouches, sur le sentier des crêtes du Tanet vers le Gazon du Faing, l’après-midi
 1978 :
  • le 19 août, un individu au sommet du Trehkopf se laisse approcher à 2m, observé pendant plus de 10min
 1980 :
  • le 16 août, un individu seul se laisse approcher à 2m, au Hohneck.
 1985 :
  • le 5 septembre, 2 individus au Hohneck
  • le 27 octobre, un individu approché à 5m sur un banc de graviers du bord du Rhin à Gambsheim (où l’on attendrait plutôt du pluvier argenté !) Seule donnée dans la plaine d’Alsace depuis 1965 (les autres étant toutes en montagne)

 1999 :

  • le 10 mai, une femelle en plumage nuptial sur les hautes chaumes du Hohneck
  • le 15 mai, un adulte au sommet du Hohneck

 2002 :
  • le 27 août,  4 Pluviers guignards sont observés sur les crêtes au Kastelberg , présents dans des prairies fauchées, à l’écart du chemin, de 11h à 17h .Ils sont très mobiles, et, malgré leur réputation d’oiseaux très confiants, ils ne permettront pas de photos à moins de 20m. Ils s’envolent pour se reposer plus loin.
 2004 :
  • le 4 septembre, 3 Pluviers guignards en halte migratoire dans un labour fin à Oberentzen, en plaine.
 2006 :
  • le 4 mai, 1 individu seul au sommet du Trehkopf, qui s’envole vers le Grand-Ballon. Et 4 ind. sont présents au sommet du Kastelberg .
  • le 6 mai, 5 individus toujours au Kastelberg. Leurs périodes d’activité, où ils tirent des vers de terre du sol, sont entrecoupées de brèves périodes de repos où ils sont  tapis au sol, au point d’être à peine repérables.
  • les 7 et 10 mai, il y  a encore un seul individu présent au même endroit. Il ne sera plus revu le 11 mai
  • le 5 septembre, observation par moi-même de 2 ind. au Kastelberg (voir compte-rendu ci-dessus).  Pas revus le lendemain
  • le 12 septembre, j’observe deux autres pluviers au même endroit (voir ci dessous). Recherche vaine le lendemain.

  • le 8 sept, deux immatures présents au Trehkopf
2007 :
  • le 27 août, deux individus au Markstein très peu farouches.
  • le 28 août, un groupe de 3 ind au Kastelberg, rejoints par un quatrième qui ne reste pas.
2008 :
  • le 7 mai, un individu au Trehkopf, chassé par le Faucon crécerelle local.
2009 :
  • le 7 septembre, un individu est présent au Kastelberg.
2010 :
  • le 15 mai, une femelle adulte stationne au Hohneck, elle y reste au minimum jusqu'au 19.
  • le 19 août, 6 adultes couchés, quasi invisibles, se reposent en début d'après-midi sous un soleil ardent dans un labour près d'Oberentzen. En début de soirée par contre ils sont très actifs, se nourrissant tous dans le champ.
  • le 9 septembre, 5 individus ( 2 adultes et 3 juvéniles.) sont présents au même endroit.

Oiseau rare en Alsace ?

Ce ne sont qu’une trentaine de Pluviers guignards qui ont été vus en 40 ans  en Alsace,  et ceci très irrégulièrement ! (donc en moyenne même pas un par an ). Mais sans doute est-ce dû au manque de prospection aux bonnes dates et aux bons endroits.

La nidification de cette espèce a été possible sur les hautes chaumes dans les années 1960-75.

La fréquentation touristique rend improbable une reproduction de nos jours !

 

Récits de deux observations personnelles de Pluviers guignards dans les Vosges en 2006

1)  Mardi 5 septembre 2006

Deux Pluviers guignards stationnent sur un sommet des Vosges.

A mon arrivée vers 11h, ils sont actifs : courent à petits pas, se figent sur place, gobent de petits insectes ou vers au sol, immédiatement engloutis.

Ils tapent le sol nerveusement, très vite, tantôt d’une patte, tantôt de l’autre, comme les oiseaux d’eau le font pour faire remonter les vers de vase. Comportement étonnant dans ce biotope qui est un pré de fauche avec un regain très ras. Sans doute le font-ils pour faire sortir des vers de terre.

Les deux oiseaux ont un ventre pâle, la bande blanche à peine marquée. Les plumes du dos et des ailes sont sombres, presque noires, avec liserés beige clair, les cuisses sont emplumées. L’un des deux a quelques scapulaires qui ont mué, l’autre non. Ce dernier a le V de la tête légèrement plus chamoisé.

Après une demi-heure de chasse active, ils se tapissent au sol, couchés comme des poules. Même en sachant où ils sont, j’ai beaucoup de mal à les retrouver : on ne voit plus que le V de leur calotte qui dépasse des herbes. Parfois, mais pas longtemps, la paupière nictitante est fermée. Si j’étais arrivée à ce moment-là, j’aurais conclu qu’il n’y avait rien . Pendant cette heure d’observation, ils se sont couchés deux fois vingt minutes.( D’où l’importance d’attendre une bonne vingtaine de minutes avant d’abandonner les recherches.)


J’y suis retournée le soir de 18h à 20h avec un ami qui les avait « loupés » ce printemps. A notre arrivée, personne ! Nous scrutons le pré, en vain. Déception…

Soudain, nous entendons des cris de « limicoles », les deux volent vers nous, nous survolent en criant… et se dirigent vers le sud. Nouvelle déception….Quelques secondes plus tard , de nouveaux cris . Ils reviennent, et se posent dans le même pré.

Quels beaux oiseaux  nous avons côtoyé deux heures durant, sans qu’ils se soucient de notre présence, au soleil couchant, été indien.

Le lendemain, de 8h à 10h, recherche vaine : ils ont sans doute poursuivi leur migration vers le sud (nord de l’Espagne ou nord de l’Afrique) entre 20h et 8h, c’est-à-dire de nuit.

 

2) Mardi 12 septembre 2006, donc exactement une semaine plus tard

Lorsque j’arrive aux environs du sommet, à 10h, deux Pluviers guignards se nourrissent dans un pré fauché il y a 10 jours, dont les balles rondes de foin ont été enlevées.

 L’un est plutôt couleur chamois, avec le bas du ventre brun foncé ; une seule plume sur chaque aile a un liseré brun (les autres plumes noires à liserés blancs).

L’autre est plutôt dans les tons de gris ; semble très légèrement plus petit et fluet, (est-ce la couleur qui donne cette impression ?). Il a 5 ou 6 plumes sur chaque aile à liserés bruns.

Les deux ont le sourcil légèrement en surépaisseur, de grands yeux noirs, les pattes jaunes verdâtres aux cuisses légèrement emplumées, la bande claire du poitrail à peine visible.

Sans aucune certitude, je suppose que c’est un couple, la première plus colorée et plus grosse étant la femelle.

10h20 : ils sont tous les deux au repos, couchés

10h25 : ils font leur toilette

10h30 : ils sont couchés, paupières fermées le temps d’un clin d’œil, ils baillent parfois, s’étirent une aile, une patte.

J’ai voulu voir combien de temps ils allaient ainsi rester inactifs. Eh bien je n’ai pas la réponse : bien fatigués ils devaient être, puisque j’ai attendu 2h30 avant d’abandonner ! Pendant tout ce temps, à 10m à peine, ils étaient quasiment invisibles, même en sachant où ils étaient !!! Sauf à de rares moments où ils se lissaient les plumes.

Un groupe de randonneurs bruyants, un hélicoptère, très bas,  deux grands corbeaux, une troupe de corneilles, et moi, avons passé, sans aucune réaction de leur part.

Conclusion : en 2h30, ils furent visibles actifs à peine 30 min, mais très nonchalants par rapport à ceux vus il y a tout juste une semaine, à peu près au même endroit.

 

 - Récits de Dominique HOLTZ -

 

 

Sources d’information :