Hébergeant une richesse faunistique et floristique unique en Alsace, qui lui a valu un Arrêté Préfectoral de Protection de Biotope, un secteur de 50 000 m2 s’étendant à proximité de la colline du Morsberg (Alsace Bossue) vient d’être entièrement retourné. Un acte irréparable et dramatique dénoncé par Alsace Nature, la LPO Alsace et l’Association Nature Alsace Bossue.

Historique

Le site avant sa destruction, avec ses haies et ses prairies - Photo Eric BrunissenLe site avant sa destruction, avec ses haies et ses prairies - Photo Eric BrunissenDepuis la construction de l’autoroute A4 entre Paris et Strasbourg, un projet de connexion routière de 6 kilomètres, évalué à environ 16 millions d’euros à la charge du Conseil départemental, était dans les cartons. Cette route avait pour vocation initiale de soulager les traversées de villages et de renforcer les liaisons avec le pays de Bitche (57).

Or deux études naturalistes réalisées en 2005 et 2011 ont mis en lumière pas moins de 11 habitats naturels et de 90 espèces d’intérêt patrimonial inscrites sur les listes rouges, observées en une seule campagne de prospection. Aussi, depuis 2013, ce projet fait l’objet d’un important travail de la part des associations naturalistes rassemblées sous l’égide d’Alsace Nature afin d’évaluer justement les impacts du projet routier.

En raison de la richesse biologique exceptionnelle du site impacté, Alsace Nature, après plusieurs années de négociations ardues avec le Conseil Départemental et des élus des communes concernées, a obtenu une modification du tracé ainsi que le maintien des bonnes pratiques de gestion agricole et l’élaboration d’un Arrêté Préfectoral de Protection de Biotope (APPB) concernant les zones à enjeux dans le secteur (août 2016).

Malgré tous ces efforts, des destructions de haies sont régulièrement constatées, avant et après l’APPB. Destructions qui se sont intensifiées, pour prendre, en février 2017, une toute autre dimension, avec non seulement l’arrachage de haies mais aussi le retournement de prairies, dans des secteurs où ces pratiques sont totalement interdites.

Illégalité des travaux

Pourtant deux textes interdisent ces pratiques :

• l’APPB qui stipule que sont interdits « toute exploitation forestière », « tout abattage d’arbres fruitiers » et « tout retournement de prairies »,

• un arrêté du Président du Conseil Départemental qui instaure l’Aménagement Foncier Agricole et Forestier (AFAF), une procédure destinée à redistribuer les parcelles agricoles et forestières lors d’un projet d’aménagement et qui a pour effet, du jour de l’ouverture de la procédure jusqu’à sa fermeture, de figer le paysage.

Impacts des dernières destructions

Le même site après les travaux - Photo Sébastien DidierLe même site après les travaux - Photo Sébastien DidierLa destruction de vergers pâturés, donc d’arbres fruitiers et de haies, et le retournement de prairies sur plusieurs hectares est dramatique pour la biodiversité, entre autre pour trois des espèces les plus menacées d’Alsace et de France : les pie-grièches à tête rousse et grise, et le milan royal. Ces 3 espèces bénéficient d’ailleurs d’un Plan National d’Actions décliné au niveau régional et financé par l’Etat français. La pie-grièche à tête rousse et la pie-grièche grise qui comptent moins de 6 couples nicheurs en Alsace, étaient observées sur ce secteur ; le milan royal y chassait. De plus, près d’une trentaine d’espèces protégées étaient recensées, dont la chevêche d’Athéna qui bénéficie d’un programme de mise en place de nichoirs. Un nichoir a même été retrouvé dans une benne alors que l’arbre porteur était abattu…

 

 

 

 

Avis des associations

Les associations de protection de la nature sont d’autant plus révoltées qu’elles sont les seules à avoir respecté les engagements pris lors des différentes phases de concertation depuis 2013. Le Conseil Départemental s’était engagé à associer étroitement les associations aux travaux d’évaluation environnementale, de définition des mesures d’évitement, de réduction et de compensation. Cela n’a pas été suivi dans les faits. Il doit par ailleurs veiller au bon respect des textes qui régissent les AFAF. Pourtant, l’ensemble des destructions de haies et de prairies qui ont déjà eu lieu et qui lui a été rapporté n’a jamais fait l’objet de poursuites, excepté un simple courrier de rappel à la Loi. De plus, il n’y a eu dans le cadre de l’AFAF aucune demande de dérogation pour la destruction ou la perturbation d’espèces protégées.

 

La profession agricole

Conférence de presse organisée pour dénoncer les faits - Photo Roland GissingerConférence de presse organisée pour dénoncer les faits - Photo Roland GissingerAu moment de la mise en place de l’APPB, la profession agricole s’est rapprochée des associations de protection de la nature pour faire évoluer un des éléments du règlement. Là encore, les associations, partant du principe du partenariat et de la confiance dans la parole donnée, ont accepté de faire évoluer la situation pour ne pas pénaliser inutilement des exploitants agricoles. Les destructions qui sont actuellement menées sur ce secteur d’Alsace Bossue montrent qu’il est parfois difficile de travailler dans la concertation avec certains des acteurs.

Perspectives

Les associations en appellent au Préfet pour qu’il fasse respecter les textes en vigueur sur les espèces protégées, au Président du Conseil Départemental pour qu’il applique la règlementation liée aux aménagements fonciers, et à la profession agricole pour qu’elle intègre, dans ses pratiques, la question environnementale. Seul un travail conjoint respectant les engagements pris par le passé permettra de sortir de l’affrontement stérile. La politique des «terres brûlées» n’a pas sa place en 2017.