Les Nations Unies ont proclamé 2010 comme année internationale de la biodiversité. Les associations scientifiques alsaciennes regroupées au sein d’ODONAT* ont décidé à cette occasion de faire le point sur l’évolution de la biodiversité en Alsace au cours des 40 dernières années et d’organiser un colloque sur ce thème. Les gestionnaires de l’environnement et les décideurs, notamment l’État et les collectivités territoriales, ont été invités à prendre la parole le 1er octobre dernier à Colmar et à participer aux débats afin de ne pas se limiter à des constats mais d’envisager l’avenir de la biodiversité en Alsace avec tous les acteurs.

Il n’est pas possible de résumer en quelques pages l’ensemble des présentations du colloque : toutes les interventions seront bientôt téléchargeables sur le site internet d’Odonat (http://www.odonat-alsace.org) - se renseigner auprès d'Odonat pour avoir une date précise de mise en ligne. Pour les ornithologues, voici un aperçu concernant l’avifaune nicheuse.

Évolution de  l’avifaune nicheuse alsacienne

Plus de 320 espèces d’oiseaux ont été observées à ce jour en Alsace et plus de 190 d’entre elles s’y sont reproduites.

La première liste rouge des oiseaux nicheurs d’Alsace publiée en 1989 faisait état de 84 espèces au statut de conservation préoccupant. En 2003, cette liste a fait l’objet d’une révision : 113 des 192 espèces de l'avifaune nicheuse régionale figurent dans cette seconde liste et sont regroupées au sein des catégories suivantes:

  • les oiseaux disparus (liste noire) : 15 espèces (8% des oiseaux nicheurs)
  • les oiseaux menacés de disparition (liste rouge) : 54 espèces (28% des oiseaux nicheurs)
  • les oiseaux non menacés pour le moment, mais qui pourraient le devenir : 44 espèces (23% des oiseaux nicheurs)

La situation en 2010

196 espèces ont niché au cours des 4 dernières décennies, 50 (26%) ont disparu ou sont en régression, 26 (13%) sont apparues ou sont en augmentation, 91 (46%) sont considérées plus ou moins stables et 29 (15%) sont des nicheurs occasionnels.

Ces espèces disparues ou en régression nichent majoritairement dans des milieux agricoles, et reflètent l’état de dégradation de ces espaces. Sont concernés les oiseaux nichant au sol comme le râle des genêts, le vanneau huppé ou le tarier des prés, mais aussi les espèces vivant dans les haies et vergers comme la pie-grièche écorcheur, le bruant jaune ou l’alouette lulu. Quinze oiseaux des milieux humides sont aussi en régression ou ont disparu d’Alsace. Ce sont majoritairement des espèces exigeantes en matière de qualité du milieu. A titre d’exemple, le busard des roseaux, le blongios nain et la rousserolle turdoïde demanderont un type de roselière particulier pour pouvoir se reproduire.

26 espèces sont d’apparition récente ou en augmentation :12 sont inféodées aux zones humides et ce sont souvent des espèces faisant preuve d’une grande capacité d’adaptation comme les laridés.

91 espèces sont plus ou moins stables et les oiseaux forestiers sont les mieux représentés. Il faut cependant avoir à l’esprit que ce biotope accueille beaucoup d’espèces communes ou très communes en Alsace.

Trois exemples :

  • Le grand tétras est l’oiseau symbole des forêts du massif vosgien. Le suivi de ses populations est réalisé par la Groupe Tétras Vosges depuis plusieurs décennies. Les effectifs et la population ont régressé de 75 % en 30 ans ! Néanmoins, depuis 2010, la régression a été stoppée et quelques signes encourageants redonnent espoir. Il est possible de sauver le grand tétras si on s’en donne les moyens : maintenir voire améliorer l’habitat et limiter le tourisme et les dérangement
  • Les zones humides ont fortement régressé en Alsace comme ailleurs en France. Elles ont surtout beaucoup changé : une gravière ne remplace pas une zone marécageuse ! De nombreuses espèces sont en déclin, par exemple le blongios nain (graphique).
  • Le courlis cendré est l’oiseau symbole des rieds. Les profondes mutations des pratiques agricoles de ces dernières décennies ont conduit l’espèce au seuil de l’extinction. Sans l’adoption de mesures draconiennes, l’espère ne pourra vraisemblablement pas survivre dans la région. Le simple fait de faucher au-delà du 30 juin et de maintenir des prairies de grande surface, loin des dérangements, peut contribuer au maintien de l’espèce.

 

 


Les 10 propositions

Les différents exposés présentés au cours du colloque mettent en évidence une perte de biodiversité plus ou moins importante suivant les groupes faunistiques ou floristiques étudiés et suivant les milieux naturels concernés.
Il est indéniable que des efforts ont été faits au cours des dernières années ou décennies pour améliorer la qualité des eaux et la diversité des forêts, pour accroître la surface des espaces verts dans les villes, et, avec la trame verte et bleue, pour laisser un peu de place à la biodiversité dans les milieux ouverts et agricoles.
Mais ces efforts sont encore insuffisants ! De nombreuses espèces de la faune et de la flore sont menacées. Il est urgent d’inverser la tendance.
Dans ce but, les associations spécialisées réunies autour des deux fédérations Alsace Nature et ODONAT proposent dix mesures phares qui permettront de limiter l’érosion de la biodiversité au cours des prochaines années ou décennies.

Ces propositions sont à la fois ambitieuses pour la biodiversité et raisonnables dans leur réalisation.

Elles sont groupées par milieu naturel (deux par milieu pour les 4 milieux retenus) et les 2 dernières concernent le suivi de la biodiversité

Les milieux forestiers


Maintien des arbres morts - Photo David HackelMaintien des arbres morts - Photo David Hackel

1. Augmenter notablement la surface des futaies irrégulières dans les forêts publiques au cours des prochaines années et s’assurer que les prélèvements soient nettement inférieurs à la production biologique afin de garantir la présence d’une nécromasse suffisante indispensable à la biodiversité.

2. Conforter le réseau de Réserves Naturelles Nationales ou Régionales (Cirque du Wormspel, secteur du Donon, Champ du Feu…) et de Réserves Biologiques Intégrales, afin d’arriver à un minimum de 10 % de la surface forestière publique en Réserves.

Les milieux humides


3. Revitaliser l'ensemble des cours d'eau alsaciens pour retrouver un équilibre au plus proche de leur dynamique naturelle en favorisant toutes les actions de renaturation, et notamment pour les grandes rivières :

  • en instaurant des fuseaux de mobilité sur l’ensemble des derniers tronçons à lit mobile ;
  • en poursuivant les travaux de reconnection au fleuve pour les forêts rhénanes encore déconnectées du Rhin, et en imposant les inondations écologiques sur tous les sites reconnectés (existants et futurs).


4. Protéger légalement toutes les dernières grandes zones humides.

Les milieux urbains et péri-urbains


Importance des vergers en zone péri-urbaine - Photo Laurent WaefflerImportance des vergers en zone péri-urbaine - Photo Laurent Waeffler5. Atteindre l’objectif « Zéro-phyto Â» dans toutes les communes d’Alsace d’ici 10 ans.

6. Mettre en place une trame verte et bleue dans toutes les zones urbaines et préserver les ceintures naturelles et semi-naturelles péri-villageoises.




 

 

Les milieux ouverts


7. Redonner une place à la biodiversité dans les milieux agricoles intensifs dans les 10 ans :

  • Diversifier 30 % de l’assolement des zones de monocultures annuelles ;
  • Doubler la proportion de milieux à forte biodiversité (prairies, vergers, haies…) ;
  • Réduire de 50 % l’utilisation des pesticides.


8. Dans les Rieds, reconquérir des surfaces de prairies extensives partout où cela est possible, conforter les mesures agri-environnementales existantes et créer une grande Réserve Naturelle du Ried centre-Alsace.

Suivi de la biodiversité


9. Lancer « L’Atlas de Biodiversité dans les Communes Â» dans chaque commune d’Alsace et réaliser en parallèle un état des lieux complet de la biodiversité en Alsace, couplé à la publication d’un nouveau livre rouge de la nature menacée en 2013.

10. Renforcer le programme SIBA (Suivi des Indicateurs de la Biodiversité en Alsace), l’étendre à la flore et aux milieux naturels, et organiser tous les 5 ans un colloque avec un bilan sur l’évolution de la biodiversité en Alsace.



 

 



Un bilan positif ?

Yves Muller, président d'ODONAT, et quelques intervenants - Photo ODONATYves Muller, président d'ODONAT, et quelques intervenants - Photo ODONAT
Alors que les intervenants se succédaient sur le devant de la scène entre 8h30 et 18h30, l’amphithéâtre du CREF de Colmar, où se déroulait le colloque, n’a pas désempli. Les associations de protection de la nature et les instances scientifiques ont largement mis en avant les menaces qui pèsent sur nombre d’espèces, qu’elles soient rares ou communes. De leur côté, les pouvoirs publics ont exprimé leur volonté de contribuer au maintien de la biodiversité, en illustrant leur propos par des réalisations concrètes. Des réalisations hélas peu nombreuses au regard de la multitude d’actions allant à l’encontre de la protection de l’environnement. Au-delà des discours, il faut espérer que le colloque ait pu apporter des informations utiles à tous les participants et surtout que chacun prenne conscience de l’extrême urgence d’agir en faveur de la nature.