Quand on parle de protection de la nature et des oiseaux, l’opinion publique pense souvent aux espèces rares, discrètes, évoluant dans des milieux naturels exceptionnels. On pense moins aux espèces dites « communes », celles que l’on côtoie au quotidien ou qui sont coutumières des champs, forêts ou parcs qui nous entourent. Habitués à apercevoir leur silhouette ou à écouter leurs chants, nous ne remarquons pas les changements, que leurs effectifs varient ou que leur répartition évolue.

 

 

Les espèces communes sont pourtant le reflet de la nature ordinaire qui nous entoure, leur évolution nous informe de son état de santé, et nous prévient des conséquences de nos activités sur les écosystèmes. En France, les scientifiques dressent un constat de ces oiseaux communs, qui, pour certains, ne le sont plus autant…

De quels oiseaux s’agit-il ?

(Données issues de l’ouvrage « 100 oiseaux communs nicheurs de France », Frédéric Jiguet, MNHN/Delachaux-Niestlé 2011)

Les méthodes de calculs

Evidence est faite que le faucon crecerelle voit ses effectifs diminuer an France - Photo Alexandre KeltzEvidence est faite que le faucon crecerelle voit ses effectifs diminuer an France - Photo Alexandre KeltzEnviron 300 espèces d’oiseaux se reproduisent de façon régulière en France. Parmi les plus rares, certaines ne comptent que quelques couples. A l’autre extrémité de cette échelle de rareté se trouvent les espèces les plus communes, celles qui sont les plus abondantes et souvent les plus faciles à observer.

 

La littérature des années d’après guerre fait mention d’une abondance avifaunistique qu’il ne nous est plus possible d’imaginer. Mais à cette époque, les inventaires et les suivis n’existaient pas ou que pour très peu d’espèces. Ce n’est qu’assez tardivement que de telles études ont été mises en place, d’abord de manière localisée avant d’être généralisées, sous la houlette d’organismes scientifiques indépendants tel que le MNHN* de Paris. Malgré cette prise en compte tardive, les chiffres sont éloquents et confirment ce dont les anciens témoignent.

 

Depuis la fin des années 80, les populations d’oiseaux font donc l’objet de suivis par les ornithologues pour connaître l’état de santé des populations. Si un comptage exhaustif du nombre de couples de certaines espèces rares est envisageable et relativement facile à mettre en oeuvre (on connaît par exemple assez précisément le nombre de couples d’aigles royaux qui nichent en France et le nombre de poussins qui s’envolent chaque année), il n’en est pas de même pour les oiseaux communs. Pour les espèces les plus abondantes, et à large répartition spatiale, un réseau de comptage existe, basé sur des échantillonnages (le Suivi Temporel des Oiseaux Communs, abrégé sous l’acronyme STOC).

Spécialistes, généralistes

Parmi les oiseaux, tous n’ont pas les mêmes exigences en terme d’habitat. Certaines espèces se rencontrent dans presque tous les milieux, en bord de mer comme en montagne, dans les zones agricoles comme en forêt ou encore dans le centre des villes. On les nomme les espèces généralistes. A l’opposé, certaines espèces ont des exigences bien particulières et ne se rencontrent que dans des habitats bien précis : il s’agit-là d’espèces dites spécialistes. On distinguera parmi elles les spécialistes des milieux forestiers, agricoles, aquatiques et bâtis.

Le grand corbeau, un spécialiste qui se démarque de son cousin le corbeau freux, un généraliste - Photo David HackelLe grand corbeau, un spécialiste qui se démarque de son cousin le corbeau freux, un généraliste - Photo David Hackel

 

En règle générale, les espèces spécialistes sont très sensibles aux modifications, même légères, de leur habitat de prédilection. S’il se dégrade, les effectifs du spécialiste diminuent, car il est très adapté à son milieu de vie originel et ne peut se réfugier efficacement dans un autre habitat. A l’inverse, le généraliste peut s’adapter à un habitat dégradé ou en changer, et ainsi s’adapter plus facilement aux grands changements environnementaux, conséquence du développement des sociétés humaines.

 

On peut faire le parallèle entre habitats et climats : certaines espèces sont des généralistes du climat : on les rencontre en zone méditerranéenne comme en haute-montagne ;  d’autres sont des spécialistes climatiques, qui préfèrent soit les climats froids, ou chauds, ou humides. Il en résulte des avenirs contrastés dans un contexte de réchauffement climatique ; en France, les spécialistes des climats froids se réfugient plus en altitude en montagne et vers le Nord et les généralistes peuvent localement bénéficier de la disparition des spécialistes pour s’installer en plus grand nombre.

 

Globalement, l’avifaune est en baisse

 

Texte issu de la publication de Vincent Dupuis, Bernard Deceuninck, Frédéric Jiguet, Nidal Issa et parue dans la revue Ornithos, 21-3 – 2014, disponible à la LPO France.

 

Au plan national, même si l’on ne prend en compte les statistiques qu’à partir de la fin des années 80, donc bien après la baisse constatée depuis les années 50, l’avifaune nicheuse régresse lentement mais continuellement (-11 % entre 1989 et 2009, -26 % de 1989 à 2001). Entre 2001 et 2009, une légère amélioration est perceptible (+18 %), liée à l’essor de plusieurs espèces protégées (fou de Bassan, cigognes…) et à l’installation de nouvelles espèces nicheuses dans les espaces protégés, dont certaines augmentent de façon exponentielle (spatule blanche, grande aigrette…).

Les oiseaux rares

Les oiseaux nicheurs ont subi quelques fluctuations de 1989 à 2000, puis ont progressé à partir de 2001. Ils comptent une part importante d’espèces protégées, souvent confinées à des espaces préservés et/ou gérés à des fins de protection. Ces espèces bénéficient pour un grand nombre d’entre elles de programmes de conservation.

Les oiseaux communs

Les oiseaux communs déclinent globalement depuis 1989, même si une partie d’entre eux se portent en moyenne mieux dans les sites protégés qu’ailleurs (Jiguet et al. 2012) et y présentent une plus grande diversité (Pellissier et al. 2013).

 

Tombées à des niveaux très bas dans les années 1970, les populations de rapaces se sont peu à peu restaurées suite à leur protection intervenue dans les années 1970. Elles ont alors progressé jusqu’au début
des années 2000 (Thiollay & Bretagnolle 2004). Pourtant, la plupart des rapaces présentent encore des effectifs nicheurs faibles et la situation de plusieurs espèces demeure préoccupante. Alors que l’augmentation des rapaces est indéniable au cours des 30 dernières années, le programme STOC met en évidence des déclins récents avérés pour les plus communs : faucon crécerelle, buse variable et épervier d’Europe.Chute dramatique des populations de linottes mélodieuses - Photo Guy ThomasChute dramatique des populations de linottes mélodieuses - Photo Guy Thomas

 

Les passereaux et apparentés comptent le plus grand nombre d’espèces en déclin. La tendance moyenne des 94 espèces principalement suivies par le STOC depuis 1989 montre un déclin progressif (-36 % en 20 ans, LPO-MNHN).

 

Depuis les années 2000, cette tendance semble stabilisée à un palier très en-dessous du niveau de référence de 1989. La dynamique négative de ce groupe met en évidence la sensibilité des oiseaux communs aux perturbations affectant leurs habitats naturels. La majorité d’entre eux sont de petite taille et adoptent bien souvent des stratégies écologiques à court terme, favorisées par un habitat stable et constant. Les perturbations écologiques sont de plus en plus fréquentes et ont des conséquences négatives avérées sur la dynamique de leurs populations.

 

Les espèces des milieux agricoles sont les plus affectées par la dégradation de leur habitat et sont celles qui régressent le plus sur la période considérée. Entre 2000 et 2006, plus de 76 000 ha d’espaces naturels ou agricoles ont disparu sous l’effet de l’urbanisation en France (CGDD-SOES 2010). Cette artificialisation des terres de culture, couplée à l’intensification des surfaces agricoles restantes, participe à l’accélération du déclin des oiseaux des milieux agricoles. Parmi ceux qui sont les plus affectés, on peut citer le tarier des prés (-72 % depuis 1989), l’alouette des champs, la linotte mélodieuse, le râle des genêts ou l’outarde canepetière des plaines du Centre-Ouest […]

Les mesures de protection

La Directive Oiseaux (79/409/CEE, remplacée par 2009/147/CE) constitue une initiative majeure pour la conservation des oiseaux à l’échelle de l’Union Européenne. Elle fut adoptée le 2 avril 1979 et entra en vigueur dès 1981. Son application encourage la mise en œuvre de mesures de conservation visant le maintien des habitats d’espèces les plus menacées, citées à l’Annexe I de la Directive[…]. Or, ce n’est pas grâce à cette directive que les espèces menacées se sont renforcées. L’amélioration de leur statut est surtout à mettre au crédit d’une série de mesures réglementaires nationales, notamment la loi relative à la protection de la Nature votée en 1976 (loi n° 76-629 du 10 juillet 1976). Cette loi a notamment établi la liste des espèces protégées (ardéidés, laridés, spatules, rapaces, passereaux…) et a permis la création des réserves naturelles. Les espèces menacées qui souffraient de destructions directes et d’absence de quiétude pour se reproduire sont celles qui ont le plus bénéficié de cette loi. Elles ne sont plus (ou sont moins) victimes de tirs et une partie d’entre elles se reproduisent dans les sites protégés et gérés.

 

Grâce à la loi de 1976 sur la protection de la nature, qui est entre autre à l’origine de la création d’une liste d’espèces protégées, et à la Directive Oiseaux de Natura 2000 entrée en vigueur en 1981, certaines populations d’oiseaux ont vu leurs effectifs remonter. Mais l’augmentation des populations d’oiseaux protégés concerne le plus souvent les espèces aux effectifs extrêmement réduits. Les progrès observés concernent donc des augmentations de quelques couples par an tout au plus. Comme les espèces communes échappent pour la plupart aux programmes de conservation existants, leur déclin nous alerte sur l’ampleur des modifications qui touchent l’ensemble des habitats. Le déclin des espèces communes observé concerne quant à lui la disparition de dizaines de milliers d’individus. Ces diminutions importantes, en terme de biomasse totale, aboutissent donc à une forte érosion qualitative et quantitative de la biodiversité.

Une perdrix grise, espèce autrefois commune dans les milieux agricoles - Photo Guillaume DietrichUne perdrix grise, espèce autrefois commune dans les milieux agricoles - Photo Guillaume Dietrich

 

Lors du Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, la communauté internationale a affiché un objectif clair : enrayer la chute de la diversité biologique mondiale. L’Union européenne, plus ambitieuse, s’était fixée de stopper l’érosion de la biodiversité européenne avant 2010, année internationale de la biodiversité décrétée par  l’Organisation des Nations Unies […]. Pour sa part, la France s’est dotée, en 2004, de sa Stratégie Nationale pour la Biodiversité. Un des objectifs de cette stratégie repris dans le cadre du Grenelle de l’environnement est la mise en place d’un « observatoire de la biodiversité » [...]. Force est de constater que le déclin global des oiseaux nicheurs n’a pas été enrayé par ces dispositions nationales.

 

Quelque 26 % des oiseaux nicheurs sont actuellement menacés (critères CR, EN, VU) et risquent à terme de ne plus se reproduire en France (UICN et al. 2011), alors que cette proportion n’est que de 12 % au niveau mondial (BirdLife International 2011). Les engagements nationaux n’ont donc pas été tenus en matière de protection de la biodiversité. Depuis le début du XXe siècle, cinq espèces ont déjà disparu de France métropolitaine ou n’y nichent plus et 11 sont en danger critique d’extinction. La destruction des habitats, les dérangements, la pollution… continuent de menacer une part non négligeable de l’avifaune française. Cela oblige à pérenniser les actions de conservation existantes, mais aussi et surtout à imaginer d’autres moyens visant à limiter l’artificialisation et l’intensification des paysages […].

 

Le sort réservé aux oiseaux d’eau en France mérite d’être évoqué. Ils comptent plusieurs espèces en mauvais état de conservation qui continuent d’être chassées (Jiguet et al. 2012). Les données de suivis indiquent que plusieurs d’entre elles – barge à queue noire, sarcelle d’été, courlis cendré, bécassine des marais… – méritent une protection réglementaire.

 

En Alsace

Un busard des roseaux, une espèce au bord de l'extinction en Alsace - Photo Pierre MatzkeUn busard des roseaux, une espèce au bord de l'extinction en Alsace - Photo Pierre MatzkeDepuis 2005**, en moyenne 25 sites (250 points) sont visités chaque année et 24 observateurs se sont engagés à effectuer le suivi d’un ou de plusieurs de ces carrés STOC.

Tous les milieux sont représentés, mais une attention particulière a été portée pour quelques espèces qui ont été réparties en 4 catégories (classement effectué au niveau national) :

  • les oiseaux des milieux forestiers,
  • les oiseaux des milieux agricoles,
  • les oiseaux des milieux bâtis?
  • les oiseaux généralistes (qui s’adaptent
  • à plusieurs types milieux)

 Les oiseaux forestiers

Ce cortège d’espèces se porte plutôt bien depuis 10 ans puisqu’il est en légère augmentation (+0,7%). Parmi les 17 espèces forestières retenues pour le calcul de cette tendance, trois sont statistiquement en augmentation. Il s’agit de la grive draine (+120%), de la grive musicienne (+48%) et du grosbec casse-noyaux (+223%). Deux espèces sont en diminution : la fauvette des jardins (-34%) et le pouillot fitis (-48%), qui ne sont en fait pas des oiseaux forestiers à proprement parler. Trois espèces sont stables (pinson des arbres, rougegorge et sittelle) et 9 n’ont pas de tendance significative.

Les pigeons domestiques, en forte hausse, sont comptabilisés dans les effectifs des passereaux sauvages - Photo Guy ThomasLes pigeons domestiques, en forte hausse, sont comptabilisés dans les effectifs des passereaux sauvages - Photo Guy ThomasLes oiseaux des milieux agricoles

Ce cortège d’espèces plus ou moins liées aux pratiques agricoles a perdu plus d’un quart de son effectif entre 2005 et 2014 (baisse de 25,8%) ! Quatre des huit espèces retenues dans cette catégorie sont en régression : l’alouette des champs (-21%), le bruant jaune (-40%), le faucon crécerelle (-37%) et la pie-grièche écorcheur (-37%). Une espèce est stable, la fauvette grisette et trois ne présentent pas de tendance significative : le corbeau freux (le recensement des colonies montre cependant qu’il est en nette augmentation), la linotte mélodieuse et le tarier pâtre.

Les oiseaux des milieux bâtis

Le cortège des oiseaux urbains est statistiquement en augmentation de 3,7% depuis 2005, et ce malgré le fait que seules deux des 12 espèces retenues sont en progression : le choucas (+220%) et le pigeon domestique (+98%). Cinq espèces sont stables (chardonneret, moineau domestique, rougequeue noir, serin cini, tourterelle turque) et cinq n’ont pas de tendance significative (hirondelles de fenêtre et rustique, martinet noir, pie bavarde et verdier).

 Les oiseaux généralistes

Les généralistes, oiseaux fréquentant plusieurs types de milieux, ont progressé de 4,5% entre 2005 et 2014. Cette catégorie compte 10 espèces, dont trois sont en augmentation : la fauvette à tête noire (+18%), la mésange à longue queue (+129%) et le pigeon ramier (+49%). L’accenteur mouchet et la corneille noire sont par contre en diminution respective de 40 et 25%. Trois espèces sont stables (la mésange charbonnière, le pic vert et le pigeon colombin) et deux ne présentent pas de tendance significative (le merle noir et la mésange bleue).

 

Rappelons que les inventaires de ces différentes espèces, réalisés à partir de 2005, ont débuté à une époque où les populations d’oiseaux avaient déjà largement baissé. La stabilisation, voire l’augmentation des effectifs sur les 10 dernières années peut apparaître comme un trompe l’œil et représente un signe d’amélioration à considérer avec précaution.

 

En outre, et ce malgré des effectifs de début  déjà bas, la poursuite du déclin des espèces agricoles est particulièrement alarmante, aucune mesure n’arrivant à compenser l’impact négatif des pratiques agricoles sur les effectifs de ces espèces.

 

*MNHM : Museum National d’Histoire Naturelle

**La forme actuelle de la LPO Alsace a vu le jour en 1995. Les suivis réalisés avant cette date concernaient uniquement certaines espèces spécifiques. Le protocole STOC, permettant une analyse fine de la situation de l’avifaune, n’a débuté en Alsace qu’en 2005.

En médaillon : moineau domestique - Photo Marc Solari