On observe depuis début février des groupes de quelques dizaines à une centaine de cigognes en Alsace, signes que la migration prénuptiale a commencé. Beaucoup de personnes s’interrogent sur ce retour qui arrive en pleine période de froid, sur les raisons qui les ont poussées à venir à ce moment précis, et les conséquences du froid sur les individus.
Si le phénomène migratoire en général est bien connu en tant que tel (des oiseaux qui se reproduisent dans une région riche en nourriture et qui passent l’hiver dans une autre région loin du froid les privant de nourriture), il reste très complexe, et même s’il est étudié, comporte encore d’innombrables interrogations. Le baguage et la pose d’émetteurs aident à la compréhension, permettent d’observer et d’obtenir certaines données, mais n’expliquent de loin pas tout. Les migrations varient d’une espèce à l’autre, voire d’un individu ou groupe d’individus à l’autre, et évoluent au fil du temps.
S’agissant des cigognes blanches, on sait qu’il existe deux routes migratoires principales depuis/vers l’Alsace : la plus courte passe par Gibraltar et permet de rejoindre le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal. La plus longue passe par le Bosphore et donne accès à la Turquie, Israël, l’Éthiopie. Au nord, l’Alsace ne représente bien évidemment pas la seule zone de reproduction, ni la plus septentrionale, puisque l’on observe des cigognes en Charente (plus de couples qu’en Alsace), en Bretagne, dans le Nord de la France, de l’Allemagne, en Pologne, pour ne citer que ces quelques régions. L’Alsace représente en revanche un carrefour des deux routes migratoires décrites.
Les « cigognes d’Alsace » ont une autre caractéristique : une partie de la population est sédentaire – ou sédentarisée, l’autre est migratrice. La première est issue d’une forme d’artificialisation du comportement des individus, dont on a inhibé l’instinct migratoire entre les années 70 et 2000, dans un souci de protection des effectifs. En effet, les cigognes blanches ont frôlé l’extinction justement dans les années 70, avec beaucoup d’individus qui ne revenaient pas de leur zone d’hivernage. En maintenant artificiellement les cigognes en Alsace (trois ans de captivité suffisent à enlever leur instinct migratoire) et en les nourrissant sur place (les animaux ne souffrent pas du froid en tant que tel mais du manque de nourriture), on a ainsi créé cette population sédentarisée, dont une partie des individus est toujours en vie (les cigognes peuvent vivre une trentaine d’années).
La population alsacienne est actuellement estimée à 1000 couples, mais sera confirmée par un recensement prévu cette année ; on ne connaît pas le nombre exact d’individus sédentaires, peut-être quelques dizaines.
L’étude de la phénologie de la population migratrice montre que les distances parcourues et la durée migratoire semblent se raccourcir, en lien avec le changement climatique : il apparaît ainsi que certaines cigognes migrent moins loin au sud, avec des zones d’hivernage en Espagne, et que de fait, leur voyage dure moins longtemps, conduisant à des départs vers le sud plus tardifs et des retours en Alsace plus précoces.
La question centrale se rapporte aux phénomènes déclencheurs. Il est connu que certaines espèces se calent sur un calendrier très précis (photopériode) pour démarrer leur migration (par exemple les martinets et les hirondelles), alors que d’autres réagissent à leur environnement comme certains canards migrateurs (ex : siffleur, garrot à œil d’or, harle bièvre) qui réagissent à l’enneigement et/ou aux surfaces en eau gelées.
Depuis quelques années, il est habituel de voir arriver les premières cigognes en février qui rejoignent très rapidement leur site de reproduction (si possible le même que l’année précédente).
Cette année, celles arrivées début février ont été accueillies par une météo clémente, avec des températures supérieures à 10°C, qui leur permettent de chasser lombrics, limaces, rongeurs (campagnols, mulots), voire quelques amphibiens. Cet épisode de froid pouvait sembler inquiétant par son intensité, mais ne devrait finalement avoir que peu de conséquences en raison de sa brièveté. L'inquiétude concernait bien sûr bien d’autres espèces d’oiseaux, notamment celles dont le régime alimentaire est basé sur des protéines animales (d’autres espèces migratrices sont également de retour, telles que les grues cendrées, les milans noirs et royaux ...). Ce que l’on sait, c’est qu’il est fort improbable qu’elles quittent de nouveau la région pour fuir la situation, les cigognes étant des migrateurs au long cours et leur instinct de reproduction étant déjà très fort.