Depuis plus de 10 ans, le pôle Médiation Faune Sauvage (pôle MFS) piloté par la LPO Alsace travaille en collaboration avec SNCF Réseau Grand Est sur les problématiques de cohabitation liées à la présence du blaireau d’Europe. Début novembre, les deux structures viennent de terminer un projet inédit dans le cadre de ce partenariat : la construction d'un terrier artificiel, garantissant à la fois la préservation des animaux et la sécurité de la voie ferrée.
En effet, ces derniers construisent parfois leur terrier dans un remblai d’infrastructure de transport ferroviaire, qui peut représenter un milieu idéal pour l’espèce. Mais la présence de ces terriers peut provoquer un affaissement progressif de tout l’ouvrage, avec des risques de sécurité non négligeables. Le terrier doit alors être entièrement ou en partie évacué, les galeries rebouchées, puis l’ensemble des infrastructures consolidées. Néanmoins, si le paysage n’offre aucune autre solution de repli pour le clan, lui faire quitter son terrier n’apportera aucune solution à long terme, car, étant très territorial, il recreusera invariablement dans le seul relief présent sur son territoire... Par ailleurs, la destruction des animaux (par piégeage ou tir) ne peut pas non plus être une solution : au-delà de l’aspect éthique, elle est inefficace sur le long terme car une fois les animaux supprimés, le territoire redevient libre et sera nécessairement recolonisé par des jeunes des clans aux alentours. Des méthodes d’éloignement des blaireaux existent et fonctionnent dans bien des situations (méthodes déjà mises au point par la LPO Alsace), mais ont quelques limites.
C’est pourquoi la LPO Alsace et SNCF Réseau Grand Est ont travaillé sur l’élaboration d’un projet de construction d’un « terrier artificiel », permettant aux animaux de rester sur leur territoire tout en garantissant la solidité des remblais.
Pour cette première, la LPO Alsace et la SNCF Grand Est ont convenu de travailler sur le site de Sundhoffen (68), qui présente deux caractéristiques idéales : absence de risque d’inondation ou de remontées de nappe phréatique et accord de la commune et des exploitants des terrains à proximité desquels se trouve le terrain pour construire le terrier artificiel. L’idée était de protéger le talus par un grillage puis de mettre en place une butte, adjacente au remblai, à proximité des terriers naturels, et d’y enterrer le terrier artificiel ; une méthode largement éprouvée aux Pays-Bas, qui effectue ce type d’opération depuis le début des années 80, et que les chargés de mission de la LPO Alsace ont pu découvrir fin 2019, à l’occasion d’une visite sur place.
Concrètement, les travaux* consistent à construire différents éléments constitutifs du terrier :
- 3 chambres en bois, équipées de foin ;
- 9 buses en béton faisant office de galeries jusqu’aux chambres et légèrement en pente vers l’extérieur ;
- 5 boîtes de raccordement en béton limitant les courants d’air.
Le tout a été recouvert de lœss, revêtu de matières végétales et ensemencé avec des espèces locales. Des éléments appétants seront disposés au niveau des entrées pour attirer les blaireaux et le site sera ensuite entièrement laissé au calme pendant plusieurs semaines, de manière à favoriser leur venue, puis leur installation. Parallèlement, des produits répulsifs seront placés au niveau du terrier naturel, voire des clapets anti-retour (permettant aux animaux de sortir de leur terrier, mais pas d’y retourner). Un minimum de 6 mois semble nécessaire pour garantir un « bon déménagement » d’après les études néerlandaises. Quand ce sera le cas, les anciens terriers naturels seront obturés et le remblai endommagé réparé. La LPO Alsace assurera le suivi du site durant cette période clé.
Le but de ce projet pilote est de servir de test ; la LPO Alsace souhaite montrer qu’il est possible d’associer sécurité des voies ferrées à long terme et préservation des blaireaux. S’il aboutit de manière positive, il pourra être reproduit dans des contextes comparables dans une logique de cohabitation réussie et non de destruction systématique. Ajoutons qu’au delà de l’aspect éthique et écologique, le bénéfice d’un tél aménagement est aussi intéressant économiquement : même si les frais initiaux semblent importants, la dépense et le chantier sont ponctuels, et valent donc largement des consolidations répétées et inefficaces.
Ce projet unique en France dans des remblais ferroviaires revêt également un caractère inédit en raison de l’espèce concernée : le blaireau est en effet chassable à l’échelle nationale (à l’exception du Bas-Rhin, où l’espèce est classée « sans statut » - ce qui la rend non chassable - depuis 2004) et ne bénéficie donc jamais de mesures de protection. Au contraire, il subit des campagnes de destruction régulières, particulièrement violentes. Agir en sa faveur, tout en rendant service aux infrastructures humaines, est donc une opération gagnant-gagnant qui pourra peut-être, espérons-le, faire également évoluer le statut de l’espèce.
* L’étude est réalisée par la LPO Alsace, les travaux sont financés par SNCF Réseau Grand Est et la réalisation a été confiée à l’entreprise ROCA.