A l’instar de nos voisins allemands et suisses, les ornithologues alsaciens ont été témoins lors de l’automne dernier d’un passage massif de geais. Le mouvement retour s’est produit tardivement ce printemps. Certains oiseaux du Nord et de l’Est de l’Europe sont connus pour entreprendre de manière irrégulière des migrations en très grand nombre vers le sud ou l’ouest du continent. Ces mouvements de fuite, appelés un peu abusivement « invasions », les mènent alors dans nos contrées.

 

Photo Philippe MeyerPhoto Philippe MeyerParmi ces espèces, les plus connues sont le jaseur boréal et le pinson du nord. Mais d’autres sont également sujettes à ces fluctuations : le casse-noix moucheté, le sizerin flammé, le bec-croisé des sapins, ou encore le geai des chênes.

 

La plupart de ces espèces sont des habitants de la taïga. Il s’agit d’un écosystème simple soumis à de rudes conditions climatiques, avec d’importantes fluctuations dans la production des fruits et graines. Lors des années de disette, la seule chance de survie de ces oiseaux est un départ massif vers le sud-ouest, à la recherche de nourriture plus abondante.

Pour les geais, bien que leur origine ne soit pas connue avec précision, il semble que les causes de l’invasion que nous venons de vivre sont similaires : à une bonne fructification des chênes en 2018, ayant probablement favorisé la nidification, a suivi une mauvaise glandée en 2019 à cause du gel printanier.

L’invasion de l’automne dernier a été remarquable. Il s’agit du plus fort passage des 60 dernières années, selon les relevés effectués au Lac de Constance où le mouvement était particulièrement spectaculaire. Les oiseaux, peu enclins à traverser les grandes étendues d’eau, se sont concentrés le long de la rive nord.  On y a noté un pic de 42 475 individus (ind.) pour la seule journée du 11/10 !  Et pour l’ensemble du passage, ce sont plus de 130 000 ind. qui ont été dénombrés. Ce total dépasse de loin le précédent record (46 500 ind. en 1977).

Photo Jean-Marc BronnerPhoto Jean-Marc BronnerNos collègues suisses ont également relevé ces mouvements d’ampleur, particulièrement marqués en bordure nord du Jura (par exemple 8 827 ind. le 7/10 à Kaiseraugst).

L’Alsace n’a pas été en reste. Le passage de l’espèce y est documenté par diverses observations, collectées notamment sous l’impulsion sans faille d’un de nos membres, Philippe Meyer. Amorcé dès le 9 septembre (77 ind. à Westhalten), le passage s’est poursuivi en octobre, avec un pic dans la première quinzaine de ce mois. Dans le massif vosgien, les passages ont été bien suivis par l’équipe de migration du Markstein, qui y a comptabilisé au total 9 897 ind., avec un pic de 4 332 ind le 3/10 ! Le mouvement était cependant également bien perceptible en plaine : par exemple, déjà un passage conséquent de 257 ind. le 20/9 à Oberschaeffolsheim en 15 mn, et jusque 643 ind. en 2h à Marlenheim le 13/10.

La migration retour a pu être moins bien documentée, en raison des contraintes liées au confinement Covid-19. Certains ornithologues ont cependant pu suivre le phénomène par des observations de proximité, comme à Ruelisheim (au total près de 3 400 ind., avec un maximum de 668 le 24/4), Wittelsheim (total : 1 072, max : 272 le 24/4) ou Eschau (plus de 300 le 1/5). Ce passage de printemps était tardif, comme il est de coutume pour cette espèce : il s’est étalé de fin mars jusqu’à la mi-mai, avec un pic fin avril. Selon Paul Géroudet, les geais ne pourront pas élever une nichée en arrivant si tard au lieu de destination, et la plupart sont sans doute immatures.

Prédation d'un geai par un faucon pèlerin (photo extraite des images vidéo du nichoir d'IllkirchPrédation d'un geai par un faucon pèlerin (photo extraite des images vidéo du nichoir d'IllkirchLors de ces migrations, les oiseaux passent par petits groupes de quelques ind. ou dizaines d’ind. qui se suivent par vagues successives. Ils volent vers l’ouest ou le sud-ouest en automne, l’est ou le nord-est au printemps. Les passages ont lieu essentiellement en première partie de matinée, plus rarement en soirée. La morphologie de cet habitant des forêts est bien adaptée au déplacement entre les arbres, nettement moins pour les longs périples. A voir les geais survoler en migration, de leur vol chaloupé, les cimes des arbres, faisant parfois une courte halte, on se demande comment ils arrivent à parcourir de telles distances ! Voler au-dessus d'un grand espace ouvert doit profondément les stresser : des rapaces comme l'autour des palombes ou le faucon pèlerin vont en effet profiter de ces regroupements importants pour prélever leur lot de proies. Des captures par des pèlerins ont effectivement pu être observées à Strasbourg et à Illkirch.

En Alsace, les dernières invasions, d’ampleur nettement moindre, avaient été signalées durant les hivers 1996/97 et 2010/11 (respectivement, que 501 et 899 ind. en automne au Markstein).

A quand le prochain passage ?

(avec les données des ornithologues enregistrées sur Faune-Alsace et Migraction)