Les observations en période de migration
Historique
En Alsace, l’étude des mouvements migratoires a débuté au cours des années 1940 par le baguage de la Cigogne blanche, puis plus régulièrement à partir de 1960, année de création du Centre Régional de Baguage d’Oiseaux (baguage de nombreuses espèces par capture au filet).
Le début du suivi visuel de la migration diurne n’a débuté qu’en 1976, par une opération alors très ambitieuse d’observation simultanée de la migration visible sur l’ensemble des cols vosgiens, depuis le Donon au nord jusqu’au Grand Ballon au sud.
Une mobilisation plus importante s’est faite jour au cours des années 1980 et 1990. Elle s’est concrétisée par le suivi plus ou moins régulier de différents sites : Remel dans le Jura alsacien, Daubensand au bord du Rhin, côte de Fréconrupt dans la vallée de la Bruche, col des Bagenelles au fond de la vallée de Ste-Marie-aux-Mines, col du Rothenbrunnen au Petit Ballon, et surtout, Markstein au fond de la vallée de Guebwiller (sans interruption de 1993 jusqu’à nos jours, soit le plus long suivi régulier en Alsace). Plus récemment, d’autres sites se sont ajoutés à la liste : Roderen et Strangenberg notamment. Grâce à la masse d’informations collectée lors de ces suivis, la phénologie de passage des différentes espèces migratrices qui transitent par l’Alsace est bien connue, ainsi que leurs importances numériques respectives.
La migration : un aller-retour – Les migrateurs sont divers – Les zones humides - Le Jura Alsacien - Les cols vosgiens - Un site web dédié à la migration en France - Les facteurs perturbateurs de la migration
En Europe du Nord et de l’Ouest, le flux migratoire suit globalement un axe Nord-Est /Sud-Ouest ; l’Alsace, située sur cette trajectoire, est l’une des voies de passage des migrateurs européens.
La migration : un aller-retour
La migration est un aller-retour entre une aire de nidification où l’oiseau se reproduit et une aire d’hivernage où il réside plusieurs mois avant de retourner vers son aire de nidification.
Au sein d’un cycle globalement annuel, l’oiseau migrateur effectue ainsi deux déplacements :
La migration prénuptiale au printemps (avant la reproduction). L’oiseau quitte son aire d’hivernage (Afrique, Espagne, sud de la France) et rejoint son aire de reproduction, plus ou moins éloignée (France, dont l’Alsace ; Europe du Nord ou de l’Est).
Ce trajet est accompli assez rapidement (haltes brèves) ; les oiseaux les premiers arrivés ont l’avantage du choix de leur site de nidification. Le front de migration est assez large même si certains axes sont bien fréquentés (Rhin, Ill pour les guifettes et sternes par exemple). En Alsace, en février-mars arrivent les premiers vanneaux huppés, courlis cendrés, milans noirs, cigognes blanches, hirondelles rustiques, bergeronnettes grises, alouettes lulu. Le coucou gris, le rossignol philomèle, la sterne pierregarin, les hirondelles de fenêtre et de rivage, les fauvettes arrivent en avril. En mai, les divers migrateurs sont arrivés, la bondrée apivore étant parmi les derniers à venir.
La migration postnuptiale (après la reproduction) : L’oiseau quitte son aire de nidification et gagne son aire d’hivernage ; c’est la « migration d’automne » même si, pour certains oiseaux, elle commence dès juillet (milan noir, martinet noir). Elle s’étale jusqu’en octobre-novembre (grives, pinson des arbres, linotte mélodieuse…).
Les haltes migratoires sont souvent plus longues qu’au printemps. Les migrateurs peuvent être rencontrés un peu partout mais des voies de passage privilégiées sont empruntées lors de ce trajet postnuptial. En Alsace, les cols vosgiens et le Jura alsacien sont des lieux où se concentre le passage postnuptial.
Les migrateurs sont divers
En Alsace, on peut observer les divers types de migrateurs :
Les migrateurs au long cours qui vont hiverner en Afrique, après s’être reproduits en Alsace ou plus au Nord : hirondelles, martinet noir, courlis cendré, rossignol philomèle, huppe fasciée, loriot d’Europe, faucon hobereau, milan noir, pie-grièche écorcheur…
Avec son fleuve, ses rivières, ses plans d’eau et ses étangs, l’Alsace est une halte migratoire pour les bécasseaux (variable, cocorli, minute…), les chevaliers (aboyeur, culblanc, arlequin…) et d’autres oiseaux qui nichent en Europe du Nord.
Les migrateurs partiels dont l’amplitude de déplacement est moindre et dont une partie des populations n’accomplit pas de déplacement migratoire (oiseaux sédentaires) : pinson des arbres, grives, merle noir, rougegorge familier, chardonneret élégant, mésanges (bleue, noire, charbonnière),… Ajoutons à cela les oiseaux qui font des déplacements « altitudinaux » sur de courtes distances. Fuyant les rigueurs hivernales du massif vosgien, certains bouvreuils pivoines, grosbecs casse-noyaux, et cincles plongeurs hivernent en plaine.
En hiver, la vallée du Rhin accueille en grand nombre les oiseaux d’eau (canards, oies, cygnes, plongeons, grèbes) venus des zones nordiques où la nourriture est devenue inaccessible à cause du gel. Ces migrateurs sont des hivernants. Chaque année, ils sont recensés en janvier, lors du comptage Wetlands International.
La population de cigognes blanches, symbole alsacien, comporte des oiseaux qui partent en Afrique (Maroc, Mauritanie ..), d’autres qui vont hiverner dans le sud de la France ou en Espagne, mais aussi des individus qui se sont sédentarisés par l’apport de nourriture (nourrissage) ; cet exemple montre qu’au sein d’une espèce, le comportement migratoire varie selon les individus et selon les conditions du milieu.
Quelques sites d’observation des oiseaux migrateurs en Alsace.
La migration est un rendez-vous annuel. Les dates et lieux de rendez-vous avec les migrateurs sont tellement multiples que tout curieux de ce phénomène, sans cesse renouvelé, a une chance de trouver une opportunité qui lui convienne. Les migrateurs peuvent être observés sur la totalité de la région, mais certains sites sont plus favorables : ce sont principalement les zones humides (liées pour la plupart au Rhin) pour les oiseaux inféodés aux milieux aquatiques, le Jura Alsacien pour les rapaces et les cols vosgiens pour les passereaux.
Les zones humides, notamment les zones rhénanes, sont d’un grand intérêt en période migratoire. De mars à mai et d’août à octobre, les migrateurs empruntent cet axe Nord/Sud, faisant souvent des haltes plus ou moins prolongées pour s’alimenter et reprendre des forces avant de continuer leur voyage : sternes pierregarins, guifettes noires et moustac et quelques guifettes leucoptères, mouettes pygmées, vanneaux huppés, balbuzards pêcheurs, divers limicoles (bécassines, chevaliers, bécasseaux,…), cigognes noires, et bien d’autres encore peuvent alors y être observés.
D’autres migrateurs venus du Nord hivernent en masse en ces lieux. Outre les divers canards, on note des oies, des plongeons, des grèbes, des cygnes, des harles, l’un ou l’autre pygargue certaines années,… La liste est longue !
Pour en savoir plus sur ces sites et les espèces qui les fréquentent (passages migratoires et hivernage), voir les rubriques « Où voir les oiseaux » (Delta de la Sauer, Ile du Rohrschollen, Plan d’eau de Plobsheim, Ile du Rhin à Kembs, Petite Camargue Alsacienne, Plan d’eau de Michelbach), et « comptages Wetlands International ».
A l’extrémité sud du fossé rhénan, des plis Est-Ouest forment le Jura Alsacien, qui culmine à 831 m au Raemelsberg, près de la frontière suisse (communes de Wolschwiller et Winkel – 68). Près de la crête du Raemel, la Rittimatte (604 m) est propice à l’observation de la migration postnuptiale des rapaces.
Le château du Landskron (533 m, au sud de Leymen) ou bien encore le Blochmont (636 m, au Sud-Ouest de Lutter) sont d’autres sites d’observation, entre août et novembre.
Les oiseaux, canalisés par le fossé rhénan, franchissent ces crêtes pour gagner la vallée du Rhône. Ce site est suivi par des ornithologues locaux depuis 1985. Plusieurs dizaines de milliers de rapaces ont été comptés : buse variable (1217 le 23/10/1996 par ex.), bondrée apivore (1327 le 28/08/2004), busards St Martin, des roseaux et cendré, milan noir et royal, autour des palombes, épervier d’Europe, faucon crécerelle, balbuzard pêcheur, faucons pèlerin, hobereau et émerillon.
D’autres espèces sont aussi observées. Parmi elles : les cigognes blanches et noires, le grand cormoran, le pigeon ramier….
En savoir plus sur le Jura Alsacien.
L’Alsace est bordée à l’Ouest par les Vosges qui culminent au Grand Ballon (1424 m). C’est un obstacle pour les oiseaux migrateurs se dirigeant vers le Sud-Ouest, qui privilégieront les cols pour le franchissement du massif. Au passage postnuptial, d’août à novembre, il est intéressant de se poster à l’un de ces cols pour observer le passage des migrateurs : plus que tout autre lieu, de par le nombre impressionnant d’oiseaux qui y convergent lorsque les conditions sont favorables, les cols permettent de se rendre compte de l’ampleur du phénomène de la migration. Ainsi, il n’est pas rare de voir passer plusieurs dizaines de milliers d’oiseaux en une seule journée à un seul col ! Un comptage coordonné par la LPO et réalisé simultanément depuis 15 cols vosgiens a permis de dénombrer 200 000 oiseaux migrateurs durant la journée du 10 octobre 1993 (dont un minimum de 5000 oiseaux au col le moins fréquenté, et un maximum de 80 000 pour le col avec le plus de passage).
Quand et comment observer aux cols ?
Le passage migratoire aux cols culmine en octobre. Les meilleures conditions pour l’observation sont réunies lorsque les oiseaux rencontrent un vent contraire soutenu et que le plafond nuageux se situe à peine au-dessus des crêtes, obligeant les migrateurs à passer au ras des chaumes. Ainsi, pour le Markstein, un vent soutenu de sud-ouest est particulièrement favorable à l’observation. Il en est de même pour la plupart des autres cols, avec parfois cependant des variantes selon l’orientation des vallées.
A contrario, une journée ensoleillée au vent insignifiant est décevante : les oiseaux passent trop haut pour pouvoir être observés. Enfin, il apparaît que lorsque du brouillard a stagné en plaine pendant plusieurs jours consécutifs, le passage est intense quand le temps s’éclaircit.
Les espèces majoritaires sont des passereaux qui migrent essentiellement du lever du jour au milieu de la matinée. Pour profiter du pic journalier de passage, il faut donc être au col au lever du jour (ne pas oublier de se vêtir chaudement !) ; vers la mi-matinée, le flux des passereaux migrateurs s’essouffle. Les rapaces arrivent en fin de matinée ; ils empruntent cependant peu cette voie de migration par les cols, préférant suivre l’axe Nord / Sud du couloir rhénan pour franchir ensuite la trouée de Belfort ou le Jura Alsacien.
La vue, mais surtout l’ouïe servent à la détermination des oiseaux : ils crient pendant leur vol migratoire. Avec une bonne connaissance des chants et des cris, il est ainsi facile de repérer l’alouette des champs ou l’alouette lulu, l’accenteur mouchet, le grosbec casse-noyaux, le bruant jaune, les bergeronnettes,…
Quels cols choisir pour l’observation ?
La migration est suivie régulièrement à plusieurs cols vosgiens par de nombreux observateurs locaux, dont le travail assidu permet d’avoir une bonne connaissance du passage migratoire.
D’autres cols se prêtent également à l’observation de la migration : à chacun de trouver le site lui convenant le mieux !
Les quelques données chiffrées fournies ci-après donneront un aperçu des observations réalisées sur ces sites.
Citons parmi ces cols, du sud au nord :
- col du Markstein – 1260 m (68) : sur la route des crêtes à l’extrémité de la vallée de Guebwiller
- col du Hahnenbrunnen – 1186 m (68)
- col du Herrenberg – 1191 m (68)
- col des Bagenelles – 903 m (68) : entre Sainte-Marie-aux-Mines et le Bonhomme
- côte de Fréconrupt – 650 m environ (67) : à l’Ouest de Schirmeck
Le col du Markstein-Trehkopf
Depuis 1994, une équipe de bénévoles y assure le comptage des oiseaux migrateurs.
La migration postnuptiale s’étale d’août à fin novembre ; le passage culmine en octobre. À ce jour (fin 2015), 119 espèces d’oiseaux ont été observées. Suivant les années et l’enneigement, un suivi est aussi réalisé au printemps (migration prénuptiale en mars / avril).
Les observations concernent essentiellement des passereaux. C’est le matin, depuis le lever du jour, que le flux migratoire est le meilleur. Peu de grands voiliers, tels rapaces, grues ou cigognes empruntent cette voie.
Le pinson des arbres est toujours l’espèce au plus fort effectif (env. 40% du total). Ensuite viennent en général pigeon ramier, pinson du Nord, tarin des aulnes, grosbec casse-noyaux, étourneau sansonnet, hirondelles …
Chaque année possède ses particularités, des passages massifs de l’une ou l’autre espèce étant fréquents.
Notons par exemple :
- 1996 : fort passage de geais des chênes, avec environ 500 individus, alors qu’en moyenne nous ne voyons que quelques individus locaux.
- 1998 : record de bergeronnettes grises (987) et d’Étourneaux sansonnets (10 646)
- 2000 : 1 648 grives mauvis
- 2005 est l’année du bouvreuil des Komis, dit trompetant, avec 108 ind. Très bonne année aussi pour la mésange noire.
- 2009 : record de Tarins des aulnes (12 772)
- 2010 : année mémorable de passage de la mésange à longue-queue nordique, record de busards avec 22 B. des roseaux et 10 B. Saint-Martin. Après 1996, soit 14 ans plus tard, nouvelle année du geai avec un record de 900 ind.
- 2011 est une année de nombreux records, aussi bien en rapaces (134 bondrées apivores, 184 buses variables, 108 éperviers d’Europe, 9 faucons émerillon), qu’en passereaux (bruants, fauvettes, tariers et traquets, hirondelles, linottes, pipits, rougequeues, serins, verdiers…)
- 2012 a été la plus suivie avec près de 330 h. C’est aussi, tout juste après 2014, l’année du maximum de records (21 !) : Pinson des arbres (env. 137 000), Gobemouches noirs et gris, Mésanges noire et charbonnière, pic épeiche, pipit des arbres, pouillot fitis, rougequeue à front blanc…
- 2013 : le printemps très maussade a eu un impact négatif sur la reproduction de nombreuses espèces. Le passage migratoire en a été affecté. De plus, le temps s’est rapidement gâté en novembre, nous empêchant de poursuivre le suivi.
- 2014 est l’année record du total d’oiseaux comptés : 308 605 ! La météo a été globalement clémente, et les vents bien orientés. Record du Pinson du Nord (35 305), du Bec-croisé des sapins, du Merle à plastron, de la Mésange bleue etc… 22 records en tout ! Pour plus d'information, lire l'actualité "Migration 2014 au Markstein-Trehkopf : un "cru" exceptionnel".
Parmi les raretés observées sur le site, citons : les bruants des neiges, fou, et ortolan, les pluviers doré et guignard, le guêpier d’Europe, le loriot, la grue cendrée, la cigogne noire, le vanneau huppé, le balbuzard pêcheur...
Les données détaillées du suivi de la migration au col du Markstein
peuvent être consultées sur le site internet "Migraction" (voir ci-dessous)
Le col des Bagenelles
Ce col a été régulièrement suivi dans les années 80 à 90.
En 1989 par exemple, en 25 séances d’observation réparties entre le 22 juillet et le 19 novembre, ont été observés 53 105 oiseaux de 69 espèces. La présence au col dès août a permis d’observer le passage des hirondelles (14 530 hirondelles de fenêtre, par exemple) ; par la suite, comme au Markstein, le pinson des arbres est l’espèce la mieux représentée (8269 individus). Parmi les migrateurs peu habituels aux cols, citons 1 courlis corlieu le 6/8, 3 courlis cendrés le 13/8, 1 martin-pêcheur le 6/9, 2 pipits rousselines (le 15/8 et le 17/9), 1 hypolaïs ictérine le 20/8.
Un site Internet dédié à la migration en France
Grâce à sa situation géographique stratégique, à la diversité de ses espaces et aux conditions météorologiques variées qui caractérisent son territoire, la France est une étape incontournable pour des dizaines de millions d’oiseaux migrateurs. Cette position privilégiée place les amoureux de la nature aux premières loges pour observer l’un des plus beaux, des plus spectaculaires et des plus mystérieux phénomènes naturels, mais leur assigne également la responsabilité de protéger au mieux les migrateurs qui font halte ou traversent le territoire et de contribuer ainsi au maintien de la biodiversité européenne.
Pour répondre à ces enjeux, la Mission Migration est née de la volonté de plusieurs associations ornithologiques désireuses de faire de l’oiseau migrateur un symbole de la préservation de la biodiversité. Ce réseau, ouvert à tous, a pour objectif de mutualiser les savoirs, de partager les passions, de diffuser les connaissances sur la migration et finalement de mobiliser la volonté et l’énergie de chacun afin de garantir l'avenir des oiseaux migrateurs et des espaces dont ils dépendent. Ces informations sont centralisées sur un site unique : "Migraction".
D'autre part, les "Cahiers de la migration" présentent la synthèse des observations de la migration prénuptiale et postnuptiale en divers sites.
Accéder aux Cahiers de la migration.
Les facteurs pertubateurs de la migration
La migration peut être perturbée par divers phénomènes naturels, tels que d'importantes nappes de brouillards ou des tempêtes, mais également par certaines activités ou pratiques humaines. L'ANPCEN (Association Nationale pour pour la Protection du Ciel et de l'Environnement Nocturne) présente ainsi les impacts de l'éclairage nocturne sur la qualité des migrations. En savoir plus